M. Lionel Gaudreault
Deuxième propriétaire du moulin
1938 à 1948
Lionel Gaudreault est né le 25 mars 1917 à Saint-Paul, comté de Montmagny.
1938
Le 16 mai 1938, Lionel et Alexandre Gaudreault se portaient acquéreurs des propriétés de monsieur William Tremblay, de ses droits sur le pouvoir d’eau de la rivière Petite-Péribonka et de la ligne électrique desservant les résidents de Sainte-Jeanne-d’Arc.
Les deux frères durent démolir et reconstruire les bâtisses qui abritaient le moulin à scie, les moulanges à farine et le planeur à bois. Dès le début d’octobre, tout le travail de construction était terminé et la machinerie la plus utile pour donner des services aux cultivateurs fut mise en opération.
Au deuxième étage du moulin, on aménagea deux petits logements servant de résidence temporaire.
Un des logements était habité par Émile Gaudreault, père des industriels et l’autre par Lionel et sa sœur Angéline, alors veuve de Aimé Fortin. Alexandre et sa famille logeaient dans la petite maison bâtie par William Tremblay, près du moulin.
Au mois de juin, une machine à faire le bardeau fut mise en opération de même que les convoyeurs pour le banc de scie et les croûtes.
Malgré tout le travail qu’il devait accomplir, Lionel se ménageait des moments pour courtiser les filles. Attiré plus particulièrement par une fille de Sainte-Jeanne-d’Arc, il fit sa demande et le 18 octobre 1939, il épousait Jeanne-d’Arc Laforest, fille de Xavier qui résidait dans le rang 6.
Ce fut un mariage double puisque Angéline, sœur de Lionel, épousait en seconde noce, Georges Verreault de Sainte-Jeanne-d’Arc, laissant ainsi à Jeanne-d’Arc la place qui lui revenait pour prendre soin de son mari et de son foyer.
Cette union marquait le début de l’histoire d’un couple dont l’existence fut heureuse mais difficile et même parfois héroïque.
En novembre 1939, il fallait préparer un baume pour arrêter le bois sur la rivière Petite-Péribonka. Ce bois abattu par les cultivateurs était destiné à subvenir financièrement à leurs besoins et à alimenter le moulin pendant la belle saison.
Le contrat pour le baume avait été donné à monsieur Joseph-Delphis Tremblay. Il comprenait 80 pièces de 30 pieds de longueur. Le prix accordé était de 400 $ la pièce rendue sur place.
Tout l’hiver, Jeanne-d’Arc eut à cuire le pain et à préparer les viandes nécessaires pour nourrir une équipe de quatre hommes. Lionel devait utiliser deux chiens et suivre la rivière pour apporter la nourriture au camp. Les hommes avaient pour tâche de couper quatre mille (4000) billots pour pouvoir les draver au printemps et cela sous l’habile direction de monsieur Xavier Laforest.
1940
Un événement malheureux marquait le début du printemps de 1940. Le 17 avril, la rivière Petite-Péribonka gonflée par la crue des eaux, emporta l’écluse au complet.
Le baume fut également emporté par un trop fort courant et tout le bois coupé pendant l’hiver disparut emporté par le courant vers le Lac Saint-Jean.
Au mois de mai, Alexandre vendit sa part à Lionel. Il alla demeurer à Dolbeau avec sa famille et il tenta de se partir à son compte dans le transport par camion. Lionel dut prendre la situation en main et ne pas se laisser abattre. Il eut recours à un tracteur, propriété d’Armand Boily, pour donner la force motrice capable d’actionner le moulin. Il s’était entendu avec monsieur Boily pour vingt dollars par jour incluant le salaire de l’opérateur.
Un événement heureux survint pour aider à remonter le moral de Lionel. Le 26 juillet Jeanne-d’Arc donnait naissance à un gros garçon qui reçut au baptême le nom de Roland. Sur recommandation du médecin du temps, le docteur Rochette de Péribonka, il fallut arrêter le moulin à scie pendant deux jours à cause des vibrations que cela causait à la malade qui demeurait au deuxième étage.
RECONSTRUCTION DU BARRAGE
L’eau étant basse, le mois de juillet était tout indiqué pour entreprendre les travaux de reconstruction du barrage.
Il fallait à Lionel un homme compétent et surtout pas trop dispendieux pour réussir à réaliser des travaux d’une telle envergure. Cet homme de valeur, nul autre que Xavier Laforest, vint offrir ses services gratuitement pour rebâtir l’écluse. Les travaux de reconstruction commençaient au début de juillet pour se terminer au début d’octobre.
Il restait à trouver quelqu’un qui puisse transporter du gravier pour rendre le barrage étanche le plus possible. Il était essentiel de garder l’eau assez haute pour donner à la machinerie son plein rendement pendant les mois d’hiver. Le frère de Lionel, Alexandre, était l’homme tout indiqué pour effectuer le camionnage à un prix exceptionnel, n’ignorant pas qu’il lui faudrait attendre pour le paiement car avec toutes les pertes subies, les finances se corsaient.
Même après avoir quitté, Alexandre n’en avait pas moins continué d’épauler Lionel. Enfin, le grand jour arriva. Le 17 octobre 1940, l’eau passait à nouveau sur le barrage, remplissait la dalle à pleine capacité et les turbines recommençaient à tourner. Lionel était heureux, il avait réussi.
LA GROSSE TURBINE
Le fonctionnement de toute la machinerie en même temps, tenant compte de l’addition d’une machine à bardeaux, exigeait trop de pouvoir et la petite turbine ne pouvait plus en assurer, seule, le fonctionnement.
La situation était critique. Il fallait à tout prix faire des modifications pour sauver la situation. Après plusieurs échanges d’idées, surtout avec les garçons de William Tremblay, l’idée de trouver une turbine assez grosse pour activer la machinerie actuelle et future se concrétisa.
Après avoir fait de nombreuses recherches, Lionel trouva ce qu’il cherchait à Abénakis, dans le comté de Dorchester. Il partit avec Lorenzo Boily, en camion, un International du temps, pour aller voir et acheter si le prix n’en était pas trop élevé, la turbine en question.
C’était le début de novembre, il fallait faire vite car à cette date, dans le Parc des Laurentides, on ne savait jamais à quelle température s’attendre. Après une première journée de voyage, ils couchèrent à Québec et se rendirent le lendemain vers dix heures à Abénakis.
L’entente fut facile ou l’acheteur était de taille si l’on en juge par le déroulement des événements. Le même jour, après le dîner, l’affaire était bâclée, comme dit Lionel, et les deux hommes commencèrent le chargement pour finir le lendemain et repartir pour le Lac-Saint-Jean.
À leur arrivée à Québec, vers dix-sept heures, il commençait à neiger. Après s’être consultés, les voyageurs reprirent la route immédiatement, ignorant ce qui les attendait. La neige continua de tomber en flocons serrés toute la nuit et toute la journée suivante pour se changer en verglas pendant la seconde nuit.
Dans le Parc National, les grattes étaient brisées et le chemin devint impraticable. Le camion n’était plus qu’une boule de glace et avançait à peine. La traversée durait depuis deux jours et demi, il restait à peine un mille à parcourir avant d’arriver à Hébertville lorsque le camion s’immobilisa, le moteur avait rendu l’âme.
Il fallut faire réparer le camion et repartir pour Sainte-Jeanne-d’Arc le lendemain Ce voyage d’une durée de six jours est un événement mémorable dans l’histoire de la grosse turbine.
1941
INSTALLATION DE LA GROSSE TURBINE
C’est vers le 15 janvier 1941 que commencèrent les travaux pour installer la turbine qui, d’après les données, devait développer de 125 à 150 forces motrices dépendamment du niveau de l’eau.
François Tremblay, fils de William, était bien le seul homme qualifié pour faire la mise en place de la turbine et pour Lionel, la situation était encore une fois sauvée. La petite turbine donnait plus que son plein rendement pour permettre à la machinerie de répondre aux besoins toujours grandissant des cultivateurs, tandis que François travaillait d’arrache-pied sur l’installation de la nouvelle turbine.
François a dû quitter après avoir fait les fondations. Jean-Baptiste Tremblay, de Péribonka, prit la relève, finit l’installation à la grande pôle d’alluchons et le centre shaft pour la mise en marche au printemps.
1941
C’est vers le 20 avril 1941 que la ‘‘Grosse Turbine’’ fut mise à l’essai. Cet événement attira bien du monde ! On avait hâte de voir ce qui allait se passer, de connaître le résultat. Enfin, on fit démarrer la scie. Tous les gens étaient émerveillés par sa force. Peu importe la grosseur des billots, rien ne ralentit. C’est une réussite et tous les visages sont réjouis. Tous vivent avec Lionel un événement heureux ! C’est maintenant une chose acquise, on pourra ajouter d’autres machines, ça ne sera plus un problème.
UNE MACHINE A FABRIQUER LES BOITES À BLEUETS
Émile Gaudreault, père de Lionel, était emballé des résultats obtenus. Ayant déjà expérimenté la fabrication de boîtes à bleuets à St-Félicien, il lui conseilla de garder les plus grosses croûtes lors du sciage du printemps pour diminuer les coûts. C’était une chose décidée. D’abord on fabriqua une machine semblable à un chariot de grande scie, chariot qui avance et qui recule de façon automatique avec friction pour que ce soit plus d’avance à scier et déligner la petite planche, sans être obligé de pousser à la main. A la fin de mai, le moulin était en marche. Émile Gaudreault, joyeux et satisfait, n’avait d’autres désirs que de prendre en charge le contrat des boîtes à bleuets. Le prix convenu était de deux sous la boîte pour la scier et l’emballer par paquet de cinq boîtes.
Au début du mois d’août, dix mille boîtes étaient prêtes à être vendues. Au marché des bleuets, le prix par boîte s’annonçait bon. La grande majorité des cultivateurs se rendait chaque jour dans les bois pour cueillir les petits fruits. On ne parlait que de bleuets ! Ainsi pendant cette période la machinerie fonctionnait au ralenti.
1942
LIONEL ACHETEUR DE BLEUETS
Émile Gaudreault continuait de faire des projets pour son fils. Secondé par Osias Côté qui conduisait le camion, Émile persuada Lionel d’acheter les bleuets. Les arguments étaient valables : Lionel possédait la main-d’œuvre, le camion, les boîtes vides et le goût du risque ; en un mot ce qu’il fallait pour tenter l’expérience. Lionel se fit donc acheteur de bleuets. C’était tout un chantier et il ne fallait pas lésiner sur les heures. De seize heures à vingt-deux ou vingt-trois heures, les cueilleurs venaient en voiture porter leurs boîtes de bleuets au garage de Lionel. Jeanne-d’Arc, pour aider son mari, accomplissait le travail d’un homme. Elle posait les étiquettes sur les boîtes, les empilait, etc. On mangeait une bouchée à la course. Osias Côté allait, avec le camion, acheter les bleuets sur les limites de Price Brothers et le lendemain matin, toutes les boîtes achetées étaient apportées à Dolbeau pour être expédiées par le train. Cette première année fut un succès ! Toutes les boîtes vides avaient été vendues et Lionel avait acheté pour revendre au marché 11 630 boîtes de bleuets. Heureuse du succès obtenu, la famille Gaudreault fit des projets pour l’année suivante.
LA MACHINE A BARDEAUX
L’ouvrage s’était accumulé au moulin, il fallait mettre les bouchées doubles pour se rattraper. De plus plusieurs cultivateurs demandaient du bardeau pour couvrir les toits des maisons et des bâtiments de ferme.
Lionel chercha une machine à bardeaux et en trouva une de seconde main à Normandin. Il en fit l’acquisition et procéda à son installation. Le 20 octobre 1942, il commençait à faire du bardeau. La demande était telle qu’il lui fut impossible de remplir toutes les commandes avant l’arrivée du temps. Pour compenser, il profita du fait que les bûches avaient été sciées d’avance et fit du bardeau pour l’hiver.
Le 24 juin 1942 la famille Gaudreault s’enrichissait d’une fille qui reçut au baptême le nom de Normande. Les années s’écoulaient rapidement, sans heurts, reflétant le bonheur d’un couple qui ne craignait pas de travailler dur et qui partageait tout : succès et joies de tous les jours, soucis et inquiétudes face à l’avenir. Un couple heureux et confiant qui voulait ardemment réussir dans la vie.
1945
NOUVELLE MAISON
La situation financière s’améliorait et avec l’arrivée d’une seconde fille, Hélène, née le 19 mai 1945, Lionel et Jeanne-d’Arc qui demeuraient dans la petite maison près du moulin décidèrent d’un commun accord qu’ils pouvaient se permettre de se faire construire une maison.
Jeanne-d’Arc raconte : « Voilà que notre projet se réalisait. Le carré se dessinait et la maison apparaissait, au bas de la côte, face à l’église. Ma belle-mère était venue la voir un jour et m’avait dit quelque chose que je gardai toujours à l’esprit : « Regarde-la bien se bâtir, ce sera sûrement la seule que vous ferez bâtir . » <À venir jusqu’à aujourd’hui, elle avait bien raison. Nous avions l’avantage d’avoir le bois au moulin mais il y avait bien d’autres choses à payer. Nous avions donné le contrat à un M. Tremblay Lecomte et nous l’avions payé comptant, 1 400$ à la fin du contrat. Nous étions tous fiers de posséder cette belle grande maison. Notre rêve était maintenant bien réel et nous jouissions d’un confort peu commun. Imaginez, nous avions le téléphone, un réfrigérateur, une toilette à eau courante ; enfin presque tout ce que nous pouvions désirer. Notre maison était le lieu de rendez-vous des cultivateurs, qui venaient y rencontrer leur médecin, le Dr Rochette de Péribonka. J’avais même ménagé un coin dans l’armoire de cuisine pour servir de pharmacie au docteur. Je me faisais un plaisir de remettre aux gens les médicaments laissés sur prescription du médecin. Je me faisais un devoir de transmettre les messages reçus par téléphone. J’essayais de remplacer Lionel pendant la saison des bleuets alors qu’il commençait sa journée à six heures pour la terminer à minuit. Je me rendais bien compte qu’à ce rythme-là, Lionel s’épuisait. Un jour il commença à faire de l’uritisme et par la suite devint aveugle. Bien qu’étant enceinte de cinq mois, je me suis efforcée d’être le support de mon mari. Nous fîmes ensemble la promesse de faire instruire un prêtre en Afrique s’il revenait à la santé. Après des soins attentionnés dans les hôpitaux qui durèrent plusieurs semaines, Lionel retrouva la vue et reprit ses activités journalières. La promesse faite fut tenue et nous avons envoyé, pendant plusieurs années, la somme d’argent nécessaire à l’instruction d’un Noir en Rhodésie. À son baptême cet africain reçut le nom de Victorien Ciboma. Il fut ordonné prêtre par Mgr Courtemanche. Le nouvel ordonné nous fit part que son vœu le plus cher en ce jour de bonheur pour lui, était qu’on donne son nom à notre dernier fils. Notre dernier garçon porte le nom de Victor. Plus tard Mgr Courtemanche nous fit la surprise d’une visite alors que nous demeurions à Magog dans les Cantons de l’Est. Pour se conformer à la recommandation de son médecin, Lionel avait à regret pris la décision de vendre son entreprise. »
1948
Vente Lionel Gaudreault à Arthur Lambert, tous deux d’Albanel, Comté Roberval.
1951
Le 5 mai 1951 Lionel Gaudreault consentait la vente de sa maison à la Coopérative de l’Électricité, régionale de Péribonka.
DIX ANNÉES BIEN REMPLIES
Pendant ces dix années passées à Sainte-Jeanne-d’Arc, Lionel occupa des postes clefs au niveau municipal. C’est ainsi qu’en janvier 1949, il fut élu par acclamation 1er maire de la nouvelle municipalité de Sainte-Jeanne-d’Arc. Il démissionna de son poste en janvier 1951 après avoir pris la décision de déménager. Il avait, quelques années auparavant, acquis la bâtisse voisine de sa maison et y avait ouvert un restaurant. A chaque semaine, il organisait une soirée de talents amateurs et encourageait les gagnants par des prix. Il avait lui-même de grands talents et ne se laissait pas prier pour s’accompagner au piano en interprétant des chansons comiques. Lionel organisa également des loisirs pour les jeunes, dont une patinoire entre autres.
Bref, Lionel fut un homme actif,UN BATISSEUR